Dans l'art contemporain, le support – toile, papier ou bois – n'est plus un simple support pour l'image, mais fait partie intégrante du message. Les artistes choisissent consciemment des matériaux qui enrichissent le sens de l'œuvre, l'enrichissent de contexte, voire créent un contraste avec l'image. En tant que spectateur, on le perçoit souvent intuitivement : une même image sur béton et sur soie est perçue différemment. C'est pourquoi les discussions sur les matériaux sont aujourd'hui tout aussi importantes que celles sur le style ou la technique.
Béton, murs et ville comme surfaces
L'un des exemples les plus frappants demeure le street art, où le choix du support fait partie intégrante du message. Banksy travaille les murs, les clôtures et les trottoirs non pas pour leur accessibilité, mais pour leur poids social : fissures, peinture écaillée et marques du temps renforcent la dimension politique de ses œuvres. JR procède de même, en apposant des photographies sur les façades d'immeubles et les ponts ; le papier, qui se déchire et se décolore avec le temps, souligne la fragilité des récits représentés.
Les artistes choisissent délibérément des supports « inconfortables » afin que leurs œuvres ne semblent pas stériles et impersonnelles sur fond d'écrans dans les transports publics et sur les murs des maisons, de retransmissions en direct, d'interfaces clignotantes, de publicités avec des logos scintillants du nouveau bookmaker.
Métal, verre et matériaux industriels
Les artistes qui explorent l'esthétique industrielle utilisent souvent des matériaux a priori peu associés à la peinture. Anselm Kiefer intègre à ses œuvres du plomb, du métal rouillé, de la cendre et du béton ; ces surfaces, lourdes, froides et inconfortables, renforcent les thèmes de la mémoire, de l'histoire et du traumatisme.
Richard Serra va plus loin : ses gigantesques structures d'acier, bien qu'existantes, fonctionnent comme une « surface » sur laquelle le spectateur ressent littéralement l'échelle et la pression du matériau. En choisissant le métal ou le verre, l'artiste prédétermine les sensations physiques : réflexion, froid, son, poids. Le matériau influence alors la manière dont on se déplace autour de l'œuvre et le temps que l'on est prêt à y consacrer.
Textiles, cuir et surfaces souples
À l'opposé, on observe un rejet des matériaux rigides et durables. Louise Bourgeois utilise tissus, vêtements anciens et broderies, transformant des souvenirs personnels en objets visuels. Sheila Hicks travaille les fils et les fibres, créant des installations textiles de grande envergure qui échappent à la perception conventionnelle de la peinture.
Les surfaces textiles suscitent une réaction corporelle : un désir d'approcher, d'examiner la texture, d'imaginer le toucher. Ici, la matière n'exacerbe ni l'agressivité ni le conflit, mais invite plutôt à explorer la mémoire, la vulnérabilité et l'intimité.
En bref : Que signifie pour un artiste le choix d’un support non conventionnel ?
Pour en saisir les raisons principales, voici quelques éléments à considérer :
- Le matériau confère d’emblée à l’œuvre une tonalité émotionnelle ;
- Le support y ajoute un contexte historique, social ou personnel ;
- Un médium non conventionnel modifie le comportement du spectateur face à l’œuvre ;
- L’œuvre transcende la simple « image » et devient une expérience ;
- L’image et le matériau entrent en interaction, tantôt en harmonie, tantôt en compétition.
Ce choix est presque toujours délibéré et rarement fortuit.